On me demandait récemment si L'oreille absolue était un roman autobiographique.
J'avais une réponse toute prête.
Je ne sais pas comment c'est pour les autres, mais moi, quand j'écris, c'est dans l'espoir d'être lu. Et si on me lit, j'espère qu'on m'aimera. Qu'on me trouvera digne d'intérêt. Spécial, peut-être même. Sexy, pourquoi pas. Et si tout ça arrive, peut-être aurai-je accès à du bonheur, ou de la satisfaction. Donc, en raccourci, j'écris pour obtenir de l'amour. Mais pas pour plaire. Ce n'est pas la même chose. Quand on est vraiment narcissique, on ne cherche pas à plaire. En fait, on cherche le moyen d'être le plus détestable possible pour tester si on nous aimera malgré les obstacles que l'on met sur la route de ceux qui seraient tentés de nous aimer. S'ils y parviennent, c'est qu'ils nous aiment vraiment. Ce qui est embêtant c'est que, en chemin, ils perdent tout amour propre, devant faire fi de leur propre besoin d'amour pour parvenir à nous convaincre de leur dévotion absolue. Sauf que, qui voudrait de quelqu'un d'aussi pitoyable qui s'est laissé marcher dessus à ce point? C'est le truc du club auquel ni Groucho ni Woody ne voudraient appartenir s'ils y étaient admis.
But I digress.
J'avais une réponse toute prête, disais-je, parce que, puisque j'écris pour me faire aimer, j'espère me faire interviewer. J'espère qu'on voudra savoir ce que je pense d'à peu près tout. Et si ce moment devait arriver, il ne faudrait pas être en panne d'esprit. Et comme les meilleures improvisations sont celles qui sont le mieux préparées, j'avais déjà imaginé qu'on me poserait cette question: votre roman est-il autobiographique?
J'y avais pensé, parce que, et c'est bien étrange, cette question est souvent posée.
J'ai même déjà entendu Bernard Pivot le demander à Henri Troyat. Je n'en revenais pas. "Mais, mon petit Bernard, qu'est-ce qui t'arrive? Pourquoi tu demandes ça à Monsieur Troyat? Qu'est-ce que ça peut foutre, Bernard, franchement?". C'est en tous cas ce que je disais à ma télé dans le salon en regardant Bouillon de culture et la tête d'Henri qui me regardait à son tour l'air de me dire: "Vous avez bien entendu la même chose que moi?".
Dieu sait que les textes de Nelly Arcan ont suscité ce même genre de questions. Et, j'aime à croire qu'elle prenait plaisir à faire semblant de ne pas faire semblant. C'était, semble-t-il, dans son personnage. Sauf que.
Sauf que, j'ai eu la chance de voir la pièce La fureur de ce que je pense, à l'Espace Go, récemment. Je veux bien croire que les instigatrices de ce projet auront su identifier les textes les plus percutants, mais tout de même. J'ai été renversé par la foudroyante précision des mots de mademoiselle Arcan. Quelle chance et quelle tristesse à la fois, d'être entraîné avec une telle lucidité dans autant d'angoisse. Une chance, parce qu'en principe, si on se rend si loin dans ces zones, on n'en revient pas. C'est comme monter en toute sécurité dans un car touristique pour visiter la détresse, tout en sachant qu'on pourra rentrer à la maison après. Et notre guide est articulée, elle maîtrise son art, connaît intimement chaque recoin du lieu qu'elle nous fait visiter. On en ressort reconnaissant. Enrichi de cette expérience. Mais triste aussi. Surtout quand on se rappelle que notre guide est restée derrière.
Tout ça pour dire que, autobiographique ou pas, quel talent hallucinant!
Ma réponse, toute prête, était d'une infinie banalité, en comparaison. Mais j'ai dit: "mon roman est aussi autobiographique que ma sauce à spaghettis".
Ces plats de que l'on cuisine pour ceux qu'on aime, ces nouvelles ou ces romans que l'on écrit pour être aimés, ils sont faits de secrets de famille, de la saveur de notre propre salive et de celle des baisers de notre amour, d'emprunts délibérés ou de vols involontaires, d'ingrédients qu'on avait sous la main ce jour-là, d'essais ratés et d'heureux hasards. Oui, mon roman est sans doute un peu autobiographique. Mais ce n'est rien à comparer de mes bouillis de légumes, qui eux, sont littéralement mes mémoires.
J'avais une réponse toute prête.
Je ne sais pas comment c'est pour les autres, mais moi, quand j'écris, c'est dans l'espoir d'être lu. Et si on me lit, j'espère qu'on m'aimera. Qu'on me trouvera digne d'intérêt. Spécial, peut-être même. Sexy, pourquoi pas. Et si tout ça arrive, peut-être aurai-je accès à du bonheur, ou de la satisfaction. Donc, en raccourci, j'écris pour obtenir de l'amour. Mais pas pour plaire. Ce n'est pas la même chose. Quand on est vraiment narcissique, on ne cherche pas à plaire. En fait, on cherche le moyen d'être le plus détestable possible pour tester si on nous aimera malgré les obstacles que l'on met sur la route de ceux qui seraient tentés de nous aimer. S'ils y parviennent, c'est qu'ils nous aiment vraiment. Ce qui est embêtant c'est que, en chemin, ils perdent tout amour propre, devant faire fi de leur propre besoin d'amour pour parvenir à nous convaincre de leur dévotion absolue. Sauf que, qui voudrait de quelqu'un d'aussi pitoyable qui s'est laissé marcher dessus à ce point? C'est le truc du club auquel ni Groucho ni Woody ne voudraient appartenir s'ils y étaient admis.
But I digress.
J'avais une réponse toute prête, disais-je, parce que, puisque j'écris pour me faire aimer, j'espère me faire interviewer. J'espère qu'on voudra savoir ce que je pense d'à peu près tout. Et si ce moment devait arriver, il ne faudrait pas être en panne d'esprit. Et comme les meilleures improvisations sont celles qui sont le mieux préparées, j'avais déjà imaginé qu'on me poserait cette question: votre roman est-il autobiographique?
J'y avais pensé, parce que, et c'est bien étrange, cette question est souvent posée.
J'ai même déjà entendu Bernard Pivot le demander à Henri Troyat. Je n'en revenais pas. "Mais, mon petit Bernard, qu'est-ce qui t'arrive? Pourquoi tu demandes ça à Monsieur Troyat? Qu'est-ce que ça peut foutre, Bernard, franchement?". C'est en tous cas ce que je disais à ma télé dans le salon en regardant Bouillon de culture et la tête d'Henri qui me regardait à son tour l'air de me dire: "Vous avez bien entendu la même chose que moi?".
Dieu sait que les textes de Nelly Arcan ont suscité ce même genre de questions. Et, j'aime à croire qu'elle prenait plaisir à faire semblant de ne pas faire semblant. C'était, semble-t-il, dans son personnage. Sauf que.
Sauf que, j'ai eu la chance de voir la pièce La fureur de ce que je pense, à l'Espace Go, récemment. Je veux bien croire que les instigatrices de ce projet auront su identifier les textes les plus percutants, mais tout de même. J'ai été renversé par la foudroyante précision des mots de mademoiselle Arcan. Quelle chance et quelle tristesse à la fois, d'être entraîné avec une telle lucidité dans autant d'angoisse. Une chance, parce qu'en principe, si on se rend si loin dans ces zones, on n'en revient pas. C'est comme monter en toute sécurité dans un car touristique pour visiter la détresse, tout en sachant qu'on pourra rentrer à la maison après. Et notre guide est articulée, elle maîtrise son art, connaît intimement chaque recoin du lieu qu'elle nous fait visiter. On en ressort reconnaissant. Enrichi de cette expérience. Mais triste aussi. Surtout quand on se rappelle que notre guide est restée derrière.
Tout ça pour dire que, autobiographique ou pas, quel talent hallucinant!
Ma réponse, toute prête, était d'une infinie banalité, en comparaison. Mais j'ai dit: "mon roman est aussi autobiographique que ma sauce à spaghettis".
Ces plats de que l'on cuisine pour ceux qu'on aime, ces nouvelles ou ces romans que l'on écrit pour être aimés, ils sont faits de secrets de famille, de la saveur de notre propre salive et de celle des baisers de notre amour, d'emprunts délibérés ou de vols involontaires, d'ingrédients qu'on avait sous la main ce jour-là, d'essais ratés et d'heureux hasards. Oui, mon roman est sans doute un peu autobiographique. Mais ce n'est rien à comparer de mes bouillis de légumes, qui eux, sont littéralement mes mémoires.