Il arrive qu'au mois de novembre on entre dans une épicerie et qu'on soit surpris d'entendre le Boléro de Ravel, dans le rayon des légumes. On prête l'oreille... Ah non, tiens, c'est pas Ravel, c'est une chanson. Puis tout à coup: "parapapampam". C'est le petit crisse au tambour qu'on entendra à toutes les heures de la journée pour les quatre ou cinq semaines suivantes en alternance avec les autres classiques de la saison. On ne peut y échapper.
La même chose ou presque survient dans les jours qui précèdent les festivités de la Saint-Jean Baptiste au Québec. Un certain nombre de chansons "patriotiques" tournent en boucle et sont devenues des incontournables. Quand on veut célébrer le Québec, on a nécessairement recours à ce répertoire.
Les liens qui se sont tissés entre ces festivités et certaines de ces chansons me laissent cependant perplexe. J'écoute les chansons - de toute façon, je n'ai pas le choix - et je me demande: pourquoi?
Mon questionnement n'a rien à voir avec la qualité poétique ou musicale de ces oeuvres. D'ailleurs ce sont des goûts qui ne se discutent pas, et mon avis à ces égards n'a pas plus de valeur que l'avis d'un autre. Et probablement moins, même, puisque c'est un genre qui ne m'est pas trop familier, la chanson.
Mais la signification des textes? Oui, un peu tout de même.
Par exemple: La complainte du phoque en Alaska. Comment cette chanson est-elle parvenue à signifier le Québec à ce point? Tout d'abord, la prémisse. Il s'agit d'un phoque qui, en Alaska, s'ennuie de sa petite amie qui, apprend-on, l'a quitté pour aller aux États-Unis.
Il suffit pourtant d'une simple recherche sur Google pour apprendre, si on le savait pas déjà, que l'Alaska, c'est précisément aux États-Unis. La complainte du phoque à Kamouraska? Oui, là, j'aurais compris. Donnaconna? Rimouski? Amos? Yes, yes, and yes. C'est tout bon.
À part la géographie qui déconne, il y a aussi la relation entre ces deux otaries qui n'est pas claire. Le phoque prétend que c'est sa blonde. Mais l'est-elle encore vraiment? Il lui reproche de l'avoir lâché. Mais rien ne nous indique que la phoque en question n'a pas tout simplement voulu être pro-active dans son plan de carrière dans le domaine du spectacle et que, devant l'occasion qui lui était offerte d'aller faire tourner des ballons sur son nez - SANS MÊME AVOIR À QUITTER SON PAYS, SOIT DIT EN PASSANT - elle a tout d'abord sollicité l'avis de son marsouin, qui plutôt que de l'encourager, lui a resservi sa rengaine que "ça ne vaut pas la peine", "que ça dure jamais longtemps" et que "ça ne fait plus rire personne". Beau vote de confiance. Merci pour ton opinion désintéressée, my phoque friend. But guess what? J'y vais pareil.
D'ailleurs que fait-il, une fois sa petite amie partie ? IL REGARDE SON POIL QUI BRILLE! Et quand il a fini de se regarder le poil, il rêve à Marilyn Monroe. Beau parti. En fait on se demande comment elle a fait pour ne pas déguerpir avant.
Cela dit. Quelle est la connexion avec la Saint-Jean? Je l'ignore. Des esprits mesquins pourraient y voir toutes sortes de choses. Le québécois peureux. Mou. Qui préfère se regarder le poil briller plutôt qu'admettre que si sa compagne l'a quitté c'est peut-être parce qu'il n'avait aucune ambition. L'argent, c'est pas beau. Les États Unis, c'est pas beau. Qu'il vaut mieux rester pur, ne rien entreprendre, et mépriser le succès, et pleurer sur sa condition de victime. Heureusement, moi, je ne suis pas comme ça.
L'autre "classique" qui me fascine, c'est La rue principale, des Coloc(ataire)s.
On y dit ceci:
"Dans ma p´tite ville on était juste quatre mille
Pis la rue principale à s´appelait St-Cyrille
La coop, le gaz bar, la caisse-pop, le croque-mort
Et le magasin général
Quand j´y retourne ça m´fait assez mal
Y´é tombe une bombe su´a rue principale
Depuis qu´y ont construit le centre d´achat
L´aut´ jour j´ai amené ma bien-aimée
Pour y montrer où c´est que j´étais né
Aussitôt arrivé me v´la en beau joualvert
Ça avait l´air de Val-Jalbert
Quand j´y r´tourne ça m´fait assez mal
Y´é tombé une bombe su´a rue principale
Depuis qu´y ont construit le centre d´achat"
Récapitulons. L'auteur habitait cette petite ville. Il a quitté la petite ville. La chanson ne dit par pourquoi il l'a quitté, mais on se doute qu'il avait ses raisons. Or, quand il revient en visite: horreur! La rue principale s"est vidée. C'est la faute au Centre d'achat que "Y" ont construit. Il est fâché.
Donc. Je vous quitte pour des raisons qui me sont personnelles. Je peux pas vous dire pourquoi. On peut imaginer que c'est parce qu'il trouvait que le combo "coop-gaz bar-caisse pop et croque-mort" ne lui suffisait plus. C'est le propre de la jeunesse de vouloir explorer, découvrir, se mesurer à plus grand, à plus fort ou prestigieux, de se sentir à l'étroit dans son petit village. C'est donc un choix de ne plus participer à la vie de son patelin natal. En le laissant à lui même. En le privant de ses bras et de sa jeunesse. C'est son droit le plus strict.
Puis il y a ceci:
"Une bonne journée j´vas y retourner
Avec mon bulldozer
Pis l´centre d´achat y vas passer
Un mauvais quart d´heure"
Je m'interroge. Comment expliquer cette violence (sans compter le fait que l'auteur soit apparemment propriétaire et opérateur de machinerie lourde). Cette envie de raser ce centre d'achat où on peut imaginer que ses cousins moins smattes que lui travaillent ou magasinent. Et qui est "Y"? Comment "Y" a -t-il pu oser? Dans son dos, pendant son absence, à son insu. Pas à celui de ceux qui ont décidé de rester, qui se rendent aux assemblées du Conseil municipal, mais dans son dos à lui. Heureusement qu'il vient nous visiter de temps à autres pour nous éclairer.
Tout le monde en choeur: " crémoé, crémoépa..."